Publié le 17 Août 2017

Je profite d'un passage aux archives pour vous raconter l'histoire d'une petite maison sur Blois. Celle du 67 ter quai Ulysse Besnard. Une microhistoire qui cumulée avec toutes les autres forment la grande histoire. Un grand merci aux employés des archives pour leur gentillesse et leur disponibilité.
C'est la parcelle Parcelle 191 qui m'intéresse.
Le XIXème siècle
Présente sur ce cadastre de 1810. Un bout de vigne et de jardins en bord de Loire. La campagne proche de Blois à l'époque.
La parcelle est au croisement de la rue de la Saulas et du quai Ulysse Besnard.

En 1846 on inaugure la ligne de chemin de fer entre Orléans et Tours. Dès l'année suivante une première gare (l'embarcadère) est inaugurée. Elle est remplacée en 1893 par la gare actuelle.
La quartier commence à s'urbaniser.
Le début du XXème siècle
Ce terrain est acheté en 1905. Une maison est construite entre 1908 et 1910 par Courtois Emile Auguste. Les héritiers sont la famille Laville.
un investissement audacieux car la crue de 1907 a touché le terrain. La maison aura donc un sous-sol prévu en cas d'inondation. Mon professeur de fac en géo me parlait d'histoire "assumée" pour se type de construction. On prévoit l'inondation plutôt que de l'ignorer. Pourtant les locataires suivant aménagèrent le sous-sol depuis...
Après les crues centennales de 1846, 1856 et 1866, la crue d'octobre 1907 fut la seule du XXe siècle à avoir franchi le déversoir de la Bouillie. Elle est aussi la dernière à avoir inondé la ville. Après de violentes pluies d'orage, les rues basses de la ville furent notamment envahies par les eaux.
Les années 1930
Guy Habert horticulteur témoigne du changement dans le quartier depuis les années 1930:

" Le quartier a évidemment bien changé depuis les années trente. Il était peu bâti, tout le monde se connaissait. Nous les enfants, jouions dans les terrains aux alentours sans danger.
La rue de la Saulas était pour partie un chemin herbeux où seul pouvait passer un cheval. C'est après-guerre, dans les années soixante que la rue a été aménagée, bitumée et qu'elle a pu rejoindre dans sa partie ouest le quai avec la destruction d'une des épiceries du quartier tenue par Mlle Chaire. Chez elle, les enfants se ravitaillaient en bonbons. Cette épicerie était située à côté de notre maison et, le matin, j'étais réveillé très tôt car la laiterie d'Onzain lui livrait des grands bidons de lait que les clients venaient chercher avec leurs laitières. Il y avait aussi le garage Couton, une buvette-épicerie-coiffure où était installé sur le comptoir un appareil à râper le fromage qui, enfant, m'impressionnait beaucoup.
« D'autres artisans travaillaient ici : un marchand de peaux de lapins, un maraîcher qui, avec sa carriole, allait en ville vendre sa production. ".
Une autre habitante du quartier qui y a toujours vécu témoigne également de l'ambiance de l'époque de son enfance dont elle reste nostalgique. « Pour la bonne année, nous allions les uns chez les autres, la solidarité entre voisins existait et on s'entraidait. Comme tous les enfants du quartier, j'allais à l'école rue du Foix en traversant le bois où se trouve désormais le déversoir de l'usine des eaux, derrière la clinique du Dr Marmasse " Les Berceaux " où beaucoup de Blésois sont nés. A cette époque, l'abattoir était installé au bas du boulevard Daniel-Dupuis et il n'était pas rare, sur le chemin de l'école, de voir des bouchers courir derrière des animaux échappés !»
Guy Habert raconte qu'avec ses cousins, il se baignait dans la Loire et pêchait des écrevisses. « L'île de la Saulas n'existait pas, mais il y avait des bancs de sable qui se formaient, se déformaient et venaient jusqu'à la rive, constituant de belles plages.»
(Article NR du 9 mars 2012)
La guerre
Du 15 au 17 juin 1940, l'aviation allemande bombarda la ville, ce qui causa la destruction de 337 immeubles, en particulier dans les quartiers anciens, et fit plus de 230 victimes. Le quartier de la Saulas fut épargné. Mais de nombreux relogements ont été nécessaires.
A noter que ces dégâts sont liés aux incendies qui ont suivi pendant une semaine les bombardements. Tout le bas de la ville avec des maisons à ossature bois et la tête de pont en Vienne ont été touchées (Merci à JP Sarradin pour ce complément).
le 29 avril 1944, une demande d'occupation de la maison de la Saulas (voisine du 67ter) chez M.Berlier-Leroy originaire d'Épouville en Seine-Inférieure) est faite au profit de M.Sénégas (agent technique du génie rural).
Le 3 juin, l'avis du préfet est négatif. Il donne la priorité à M.Bouillon qui est père de 4 enfants.
Pourtant M.Bouillon - sinistré par les bombardements - et qui devait aller au 20 Rue Pierre Trinqueau est finalement logé au 67 ter quai Ulysse Besnard
Mais pour peu de temps. En effet la maison est réquisitionnée par la milice le 21 juin 1944. (qui n'occupera pourtant jamais les lieux). M. Sénégas loge-t-il finalement à la Saulas ou au 67 ter ?
Ce sont ensuite des ouvriers de Peugeot Rouen qui sont logés ici par les Allemands jusqu'au 30 juin 1944 (arrêt des paiements).
Il faut dire que la situation a Blois est compliquée. Le 10 août 1944 c'est la libération au petit matin par un groupe de FTP (franc-tireurs et partisans), aux ordres du lieutenant Roger Godineau, de 183 détenus politiques détenus à la prison de Blois. Les Allemands se retirent au sud le 16 août 1944 et font sauter le pont Jacques Gabriel derrière eux. La ville est coupée en deux.
On pavoise les rues dès le 16 août mais tout n'est pas calme pour autant rive droite. Le 20 août le préfet reçoit cette lettre de E.Durand.
« Au nom des habitants de la rue du Foix et du quai Ulysse-Besnard… Des tireurs agissant devant nos maisons et l'ennemi, à qui cela ne peut nuire, riposte à la mitrailleuse, d'où dégâts graves qui ont failli être mortels… Avec cela impossible de se ravitailler… Si les tirs dont je parle sont inopérants, ne pourrait-on les faire cesser ? »
Il s'avère que les tireurs étaient ceux du groupe Fito, section de la 3 ecompagnie de Blois, qui tiraient sur les maisons – qui étaient pour certaines les leurs – de la rive gauche où étaient retranchés les Allemands.
La ville est définitivement libérée le 1er septembre 1944.
Le maire de Blois réquisitionne le logement le 19 septembre 1944 et étonnamment, après la défaite des collaborateurs et de l'armée Allemande c'est pourtant M. Sénégas qui emménagera dans le 67 ter.
Il y a restera un an et demi. Aucun mobilier de la milice n'y est retrouvé. Seul un petit lit de fer avec un matelas et traversin.
Il lève la réquisition dès le 19 septembre.
Le propriétaire préfère que le logement reste occupé. Elle est alors confiée à M. Lécrivain fils le 28 décembre 1944.
L'après guerre
La maison est vendue ensuite en 1949. Le quartier prend son aspect actuel dans ces années.
Ce quartier est aujourd'hui rattrapé par les problèmes urbains: Circulation de l'axe Tours-Blois sur la Rn152, circulation douce parfois compliquée des piétons et vélos pour aller à la gare.
- Article bouger autrement à Blois
- Article NR sur le croisement Rue de la Saulas/ Quai Ulysse Besnard.
Mais c'est aussi une réserve ornithologique et une vue de premier choix sur la Loire. Près du centre ville tout en gardant une âme à part.