Publié le 12 Mars 2023
Jour 383 : Géostratégie du Caucase. Le cas Géorgien.
Ça fait longtemps que je voulais évoquer cette région qui me passionne (elle aussi) mais je craignais que cela paraisse un peu « tiré par les cheveux » par rapport au conflit.
Je l’avais déjà évoqué un peu trop rapidement en septembre dernier (jour 206 )
🔸Le Caucase est constitué de trois pays : Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan. On peut aussi y ajouter les territoires soumis à la Russie comme le Daguestan, la Tchétchénie, la Tcherkessie, l’Ossétie du Nord. Il y a enfin les territoires occupés par des régimes fantoches pro-russes (Abkhazie et Ossétie du Sud). La situation étant complexe (et donc très longue à expliquer) je m’attache ici au cas Géorgien. J’essaierai d’aborder les autres pays dans d’autres articles.
🔸La Géorgie est un petit pays de 69 700 km2 (environ la taille de l’Occitanie) dont 18 % est occupé aujourd’hui. Sa situation est complexe. Ce pays a été une des premières nations chrétienne (elle devient religion officielle dès le IVème siècle). Elle devient orthodoxe au Xième siècle et connaît son apogée au XIIème siècle. Comme beaucoup de territoires elle est annexée au XIXème par la Russie. Son indépendance de 1918 à 1921 est symbolique. La Russie qui avait reconnu son indépendance l’a envahi et annexé sans autre forme de procès et contraint le gouvernement à l’exil. Elle se retrouve ensuite intégrée à la nouvelle URSS en 1922. La Géorgie avait tendance à voir dans l’Empire Russe une protection chrétienne contre les Empires musulmans Perses et Ottomans. Pourtant la tradition persane avait dominé le pays durant près de cinq siècles auparavant.
🔸L’indépendance dans la douleur (1991-2004)
Son indépendance en 1991 est différente des autres anciennes républiques soviétiques. Après un intermède court de Zviad Gamsakhourdia c’est Edouard Chevarnadze (de 1992 à 2003) qui prend le pouvoir. Il était l’ancien ministre des affaires étrangères soviétique.
La Géorgie fait alors figure de zone test pour Moscou comme pour la Transnistrie. Pas besoin de général Lebed ici, c’est Moscou qui décide de profiter du chaos Géorgien pour récupérer l’Ossétie du Sud. Contrairement au désir de Moscou, Edouard Chevarnadze se prend au jeu de son propre pouvoir et décide de récupérer l’autre région autonome qu’est l’Abkhazie. L’échec est cuisant. Le président change alors complètement de politique et se rapproche de Moscou. Cette indépendance paraît donc presque « subie » et fantoche. Moscou soutient alors Chevarnadze contre Gamsakhourdia pour le maintenir au pouvoir et l’avoir à sa botte. La Géorgie évite alors d’avoir un dictateur sur des décennies comme la plupart des pays d’Asie centrale mais n’arrive pas à avoir une réelle indépendance vis-à-vis de Moscou. Chevarnadze tenta à nouveau de s’orienter vers l’occident en 2000 mais a été destitué en 2003 par la révolution des Roses. Mikheil Saakachvili (2004-2013) lui a succédé à la présidence.
🔸Saakachvili (2004-2013)
Saakachvili s’essaie à une politique d’équilibre entre occident et Russie. Il réhabilite Zviad Gamsakhourdia (décédé en 1993) et donne des signes à Moscou tout en tentant de faire adhérer la Géorgie à l’UE et l’OTAN. Il change tous les emblèmes nationaux du pays (drapeau, hymne, armoiries). Son grand succès a été de récupérer la région sécessionniste d’Adjarie sans un coup de feu et avec la bénédiction de Moscou en 2004). Il échoue cependant à faire la même chose en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Mikheil Saakachvili décide le 8 août 2008 d'un assaut sur Tskhinvali, la capitale de l'Ossétie du Sud, visant les points stratégiques défendus par un bataillon russe. Cette deuxième guerre d'Ossétie du Sud s'achève deux semaines plus tard, mais reste un sujet de forte tension : Moscou reconnaît fin août 2008 l'indépendance des deux régions sécessionnistes qui procèdent à des agrandissements de territoire. La rupture avec la Russie est consommée. Saakachvili quitte la Géorgie avant le terme de son mandat et n'y revient pas ensuite. Il renonce à la nationalité géorgienne pour éviter l'arrestation et des poursuites pénales. Il prend la nationalité Ukrainienne et commence une carrière politique dans ce pays. Il devient gouverneur de l’Oblast d’Odessa, fonde son propre parti. En 2017 Porochenko lui retire sa nationalité et il devient apatride jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Zelensky. Il décide de revenir en octobre 2021 en Géorgie où il est immédiatement arrêté. Son état se dégrade rapidement, aujourd’hui son pronostic vital est engagé.
🔸2013-2018 : L’apaisement forcé.
Après un an de règne du milliardaire Bidzina Ivanichvili, c’est Guiorgui Margvelachvili, candidat du Rêve géorgien, qui remporte l'élection présidentielle en 2013. Il choisit une politique d’apaisement avec la Russie mais a de grandes difficultés à sortir le pays du marasme économique. Il se rapproche de la Turquie et de l’Azerbaïdjan (au détriment donc de l’Arménie). La politique pro-occidentale de la Géorgie est stérile car elle est coupée de ce marché et n’a pas de relai proche. Le pays paraît ainsi comme condamné à être sous un protectorat Russe et/ou Turc. Le président le comprend et signe en 2014 un accord d'association avec l'Union européenne pour mettre en place d'une zone de libre-échange. Mais ses perspectives Européennes restent limitées. Sans continuité géographique, avec 18% de son territoire qui est aux mains de régimes fantoches dirigés par la Russie (à l’instar de la transnistrie en Moldavie), l’horizon est bouché.
🔸2018-2023 : Les trois voies du rêve géorgien.
En 2018, Salomé Zourabichvili est élue présidente de la République, sans étiquette mais avec le soutien du parti Rêve géorgien. Elle a effectué toute sa carrière au quai d'Orsay avant d'entamer sa carrière politique en Géorgie. Depuis son élection, elle s'est distanciée du parti majoritaire. Elle « profite » de l’invasion de l’Ukraine pour annoncer officiellement la candidature de son pays à l’Union Européenne mais contrairement à l’Ukraine et à la Moldavie, l’UE ne répond pas favorablement et fragilise encore plus la Géorgie. Même si elle n’a pas encore le statut de candidat officiel "L'avenir de ces pays et de leurs citoyens réside dans l'Union européenne" d’après le Conseil Européen. L’occupation de ce territoire en partie par la Russie (Abkhazie, Ossétie du Sud) étant un problème aussi en Moldavie (Transnistrie), en Ukraine évidemment mais aussi à Chypre (occupée en partie par la Turquie) qui est déjà membre de l’UE. Il faut préciser aussi qu’une partie du territoire géorgien est sur le continent Européen ce qui légitime sa demande.
Le conflit Ukrainien entraîne aussi l’exil de centaines de milliers de Russes en Géorgie. Certains voient en eux une cinquième colonne russe. D’autres se félicitent de voir une population plutôt d’un bon niveau d’étude et par principe opposée à la guerre.
La Géorgie cherche toujours un équilibre pour éviter d’être « mangée » par son voisin Russe. Ainsi Le parti au pouvoir "Rêve Georgien", dominé par la première fortune Ivanishvili et a refusé de mettre en place les sanctions économiques contre la Russie pendant que sa présidente est farouchement pro-occidentale et que son premier ministre Irakli Garibachvili a essayé de mettre en place une loi sur les agents étrangers pro-russe.
Le « rêve Géorgien » a donc trois voies politiques distinctes en même temps. Une incohérence mortifère. Révolte après révolte le peuple pousse vers un destin européen. L’erreur de 2008 a pesé sur les dirigeants Géorgiens et semble les paralyser en partie aujourd’hui. La Russie est affaiblie, elle peine aujourd’hui même à garantir l’intégrité territoriale de l’Arménie voisine face à l’impérialisme Turc et Azéri. Mais une armée russe affaiblie reste beaucoup plus forte que l'armée Géorgienne (malgré un budget militaire conséquent par rapport à l’économie du pays).
Est-ce le bon moment ? En tout cas, l’Ukraine serait sans doute ravie d’avoir un autre front pour la Russie.