Publié le 6 Décembre 2011
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Article original + extraits audios
Il a passé la porte de la mission locale la tête rentrée dans les épaules, le regard baissé sous sa casquette, forçant la décontraction dans sa démarche. A commencé, C.V en main, à chercher de façon un peu désordonnée un employeur dans les pages jaunes. Aux premiers conseils, il s'est d'abord renfrogné. Puis il est entré dans le bureau de son conseiller attitré. A discuté de longues minutes. Est ressorti rassuré.
Quand on lui a posé les premières questions, il avait encore sa carapace de jeunes de cité. Celle que tous arborent ici de prime abord : le regard dur, la tête de côté, et une bonne dose de méfiance. Puis la carapace est tombée. D'un coup. Avec une voix douce, les yeux pétillants et un brin d'émotion, ce jeune homme de 18 ans nous a raconté son parcours. Un chemin emblématique de celui de beaucoup de jeunes qui fréquentent la structure intercommunale qui aide à l'insertion sociale et professionnelle des moins de 25 ans.
Cela commence par un échec scolaire. Au collège, les cours ne l'intéressent pas, il passe son temps à chahuter, raconte-t-il :
Il n'est qu'en 5e quand il décide d'arrêter les cours. Il n'a pas 16 ans, l'âge légal. Mais son père l'envoie se forger le caractère "au bled", c'est-à-dire en Mauritanie, comme il l'a fait avec son frère aîné au parcours tout aussi difficile. "Là-bas, on travaillait au chantier de la maison. La vie y est plus dure qu'ici. Au bout d'un an, je voulais revenir en France".
Mais à son retour à La Courneuve, rien ne l'attend. "Je me suis mis à traîner avec les autres. Je restais dehors jusqu'à 5 heures du matin. Je ne faisais absolument rien raconte-t-il sur le ton du remord. Et puis j'ai commencé à faire du sport. Les autres se sont mis à fumer du shit, et à boire. Je les appelais vers 14 heures, ils venaient tout juste de se réveiller... J'ai compris que ça ne servait à rien. J'ai préféré choisir un autre chemin".
L'une de ses 3 sœurs fréquente déjà la mission locale, c'est elle qui l'y accompagne la première fois, il y a 2 ans. "Au début je n'étais pas sérieux, je n'y croyais pas. Je n'allais pas à mes rendez-vous, j'abandonnais mes stages... Ce qui a changé un jour c'est que j'ai vu que mon conseiller croyait en moi : il m'appelait à chaque fois quand je ne venais pas, il était derrière moi". La confiance nécessaire à l'accompagnement dont nous parlait précédemment son conseiller, Emmanuel Hourcade, est née. Il a un second déclic quand son grand frère est embauché en CDI après avoir passé son CACES, certificat obligatoire pour exercer le métier de cariste (conducteur de chariot-élévateur). Un ami lui dit même que s'il obtient le CACES et le permis B, il pourra peut-être travailler avec lui. Voilà un projet professionnel qui se forme. Il va le concrétiser grâce à son conseiller.
"Je m'étais sous-estimé"
"C'est lui qui m'a poussé à faire le test, à passer l'entretien. Moi je m'étais mis dans la tête que je n'allais pas y arriver. Et il avait raison, je m'étais sous-estimé car j'ai réussi ! C'était simple finalement : du français, des maths, je n'avais pas tout oublié !"
Pour la première fois de sa vie confie-t-il fier, il fut "sérieux à une formation", ne cédant pas aux sollicitations de certains élèves qui malgré leur 20 ans "n'avait pas encore mûri". Surprise encore, quand pour la première fois, on le met dans le "groupe des calmes". Et cela a payé : il vient d'être certifié pour les CACES 1, 3, 5, les plus demandés par les entreprises.
Quand on lui demande ce que ça représente pour lui, ses yeux s'allument, son cœur s'accélère. Il hésite, cherche ses mots : "Ça représente... ça représente... beaucoup de choses... Je ne sais pas comment vous dire. Pour la première fois, je sens que ça avance..." Prochaine étape désormais, le passage du permis B. Son conseiller confie qu'il est encore au début de son parcours vers l'emploi. Mais dans la voix du jeune homme, on sent bien qu'ils sont devenus partenaires : "Avec lui, je sais qu'à la fin j'aurais quelque chose !"
Notre entretien touche à sa fin, il est sur le point de partir. La conversation revient sur l'école. Et soudain comme se coupant la parole à lui même, il lâche "mais je regrette". "Je regrette de n'avoir rien fait à l'école". Laissons le conclure :
A.L