Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

Publié le 14 Janvier 2024

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

Bleu foncé: États membres de l'Union européenne
Rose: État s'étant retiré de l'Union européenne
Bleu: États candidats reconnus
Bleu clair: États candidats déclarés
Rouge : États ayant retiré ou interrompu leurs candidatures, membres de l'AELE

Le front est plutôt calme en ce moment. Des attaques se poursuivent bien sûr mais la situation est figée. Je vais donc profiter de ce moment pour pouvoir aborder un sujet de fond. Ça va sans doute être long car le sujet est complexe (et passionnant), l’élargissement (ou non) de l’UE à l’Ukraine.
 

🔹 Les critères d’adhésion géographique.

 

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

L’UE a des critères géographique d’adhésion mais qui connaissent des exceptions notables. L’Algérie a fait rapidement partie de l’ancêtre de l’UE (CEE depuis le traité de Rome en 1957) pendant la colonisation Française (1957-62). Le Groenland a aussi été membre de la CEE jusqu’à son autonomie (en 1979, effective par un retrait de la CEE en 1985). 
La situation s’est définitivement clarifiée en 1987 avec le refus de la candidature du Maroc pour critère géographique (ce qui évitait de mettre en avant la question des droits de l’homme.

L’Union Européenne s’arrêtera donc à l’Atlantique à l’Ouest, l’Arctique au Nord, la Méditerranée au Sud. Il n’y aura pas de pays Américains, ou Africains dans l’UE. 

🔹 Le problème des frontières « culturelles » en Méditerranée, dans le Caucase et en Oural.

 

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

La situation se corse avec les îles Méditerranéennes. Sont-elles Africaines, Asiatiques ou Européennes ? Cette situation se pose avec l’élargissement de 2004. L’UE reconnaît alors que la situation de Malte (entre Afrique et Europe) et de Chypre (au Sud de la Turquie) sont des exceptions. Malte se situe à 88 km des rivages sud-ouest de l'extrême sud sicilien et à 297 km à l’est-nord-est du ras Kaboudia, en Tunisie. Elle peut justifier de sa proximité géographique mais pas géologique. Elle se situe sur la plaque Africaine. Chypre est Asiatique sans discussion aucune. Ces îles ont un passé Grec, Romain et indéniablement une culture Européenne. On décide donc de créer une exception géographique. La question de savoir si la Géorgie ou l’Arménie vont profiter de cette exception ou non ne se pose pas en 1990 quand Malte et Chypre posent leurs candidatures.

🔹 Le problème de l’occupation par un pays étranger. 

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?
Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?
Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

Pire, si la situation Maltaise est relativement simple (316km², 500 000 habitants), celle de Chypre pose problème par l’occupation du Nord du pays par l’armée Turque et la création d’un pays reconnu par personne : « La république Turque de Chypre du Nord » (3355 km², 400 000 habitants). Cette Sécession de Chypre date de 40 ans désormais (1983) et la situation est bloquée. Le Sud ayant refusé la réunification en 2004 lors de l’adhésion du pays à l’Union Européenne. 
Par un ricochet de l’histoire cette situation permet aujourd’hui à la Moldavie (dont la Transnistrie occupe une partie de son territoire), la Géorgie (Abkhazie et Ossétie du Sud) et à l’Ukraine de pouvoir envisager une adhésion malgré l’occupation russe de leur sol.

🔹 La situation géographique actuelle des élargissements possibles, les valeurs sûres.

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

Alors à combien de membres l’UE doit-elle s’étendre dans le futur ? 
Certains pays ont été membres et donc de droit peuvent le redevenir peut-être un jour : Le Royaume-Uni ou peut-être une sécession de celui-ci : Une réunification Irlandaise ou une indépendance de l’Ecosse (ou peut penser aussi à la Catalogne ou aux Flandres). 
D’autres se sont portés candidats, ont été acceptés et ont ensuite décliné l’adhésion : La Norvège (1972 et 1994), l’Islande (retrait) et la Suisse (1992).  A l’évidence, s’ils candidatent à nouveau ils seront accueillis à bras ouverts. Ce sont des démocraties affirmées, des pays riches pleinement intégrés à l’UE par des accords de libre-échange. Ils font d’ailleurs partie de l’Association européenne de libre-échange (AELE). Les États de l'AELE travaillent en collaboration avec l’UE dans les domaines de l'environnement, la recherche, l'éducation, la santé, la fiscalité, la justice, la pêche, le commerce, etc., les citoyens de ces pays peuvent se déplacer librement au sein de l'espace Schengen et c'est aussi le cas des marchandises, des services et des capitaux (sauf pour la Suisse dont les relations avec l'UE fonctionnent sur une série d'accords bilatéraux sectoriels).

🔹 Les micro-états

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?


4 micro-états font de facto déjà partie de l’UE : Andorre, Monaco, Saint-Marin et le Vatican. Un seul n’est pas associé c’est le Liechtenstein mais il fait partie de l’Association européenne de libre-échange (AELE). 

🔹 Le cas des Balkans

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?


Ensuite il y a la situation des Balkans. Ils sont quasiment tous reconnus comme candidats officiels :  la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine. Seul manque le Kosovo. Cette région est au cœur de l’Europe. Elle est un facteur de déstabilisation du continent et d’entrisme des puissances étrangères (Chine, Russie). Ces pays sont globalement pauvres (à l’échelle Européenne) mais proportionnellement moins que l’Espagne et le Portugal lors de leur adhésion par exemple. La Serbie pose un énorme problème par ses liens avec la Russie (à l’équivalent de la Hongrie qui est, elle, dans l’UE).
Si l’UE veut la paix, la stabilité et devenir une puissance elle va devoir les intégrer. C’est loin d’être insurmontable pour l’UE. Les populations sont dérisoires par rapport à l’ensemble communautaire et l’enjeu est immense (Albanie : 29 000km², 3Mhab ; Bosnie-Herzégovine 51 000km², 4Mhab ; Monténégro : 14 000 km², 0,6 Mhab ; Serbie : 77 000 km², 6,7Mhab ; Macédoine du Nord : 26 000km², 1,8Mhab). 16 millions d’habitants donc pour une population actuelle de l’UE de 447 millions d’habitants. Il faut donc « absorber » 3.6% de population en plus. 
Les réussites des adhésions Slovènes et Croates montrent que cette région n’est pas condamnée à la pauvreté et à la guerre.  Reste à savoir si l’adhésion doit se faire en un bloc ou progressivement. La situation de la Bosnie est très inquiétante. La guerre est proche. Reste que l’abolition des frontières et l’intégration économique et monétaire apaise forcément les conflits. Et il y en a besoin.
La reconnaissance de la candidature du Kosovo (11 000 km², 2Mhab) est un enjeu majeur de la zone. Son indépendance n’est pas reconnue par la Serbie et les tensions sont fortes. Certains membres de l’UE n’ont toujours pas reconnu le pays (33 pays sur 44 en Europe le reconnaissent) et l’UE a montré une certaine mauvaise volonté à accorder des visas. Tout comme elle rechigne à faire entrer la Bulgarie et la Roumanie dans l’espace Schengen (depuis le 1er janvier 2024 les frontières sont ouvertes mais seulement par mer et par avion).
Pour les autres candidats, la situation est très différente.

🔹 Le cas Turc

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

La procédure d’adhésion Turque est la plus ancienne. Dès 1957 la Turquie déclare son intérêt pour la CEE. Elle demande à y être associée en 1961 (association acceptée en 1964). Sa candidature officielle est posée en 1987 et elle est reconnue comme candidate en 1999. 
Une démarche longue et ancienne basée sur une réalité géographique. La Turquie a bien une partie de son territoire en Europe. C’est une petite partie du territoire (provinces d’Istanbul, d’Edirne, de Tekirdag, de Kirklareli) mais elles représentent une part importante de la richesse et de la population du pays. 
Si le pays a fait une partie du chemin vers l’UE (suppression de la peine de mort, union douanière etc.) une adhésion paraît impossible à court terme. La partition de Chypre reste un problème majeur. La population Turque est importante (85 millions d’habitants et en croissance) et lui donnerait de très nombreux sièges au parlement. Le pays a des frontières orientales exposées (Syrie, Liban, Irak, Iran, Arménie, Géorgie) et de nombreux conflits en cours – y compris avec des états membres (Grèce, Chypre) ou des candidats (Arménie). 
Il y a aussi la question taboue de la religion. L’UE étant un « club des chrétiens » (catholiques, orthodoxes et protestants) portée justement par la démocratie chrétienne (Comme Jacques Delors en son temps). Accepter de petits pays musulmans (comme l’Albanie ou la Bosnie) est envisagé mais pas une nouvelle grande puissance comme la Turquie. C’est sans doute injuste (et c’est bien pris comme tel dans le pays du Bosphore). 
La Turquie est un pivot géopolitique majeur. Elle garde l’entrée de la Mer Noire et fait le pont entre l’Europe et l’Asie. Mais elle s’estime une puissance à elle seule. Elle s’est donc détournée de l’Europe progressivement au cours du règne d’Erdogan. Mais rien n’est figé en histoire. Qui sait quel sera son chemin dans 15 ou 20 ans ?
En tout cas une adhésion de la Turquie n’est pas d’actualité pour l’instant. Elle sera agitée par l’extrême-droite pendant les prochaines élections européennes sans aucun doute mais cela n’a pas de sens. Les négociations sont gelées depuis 2018 et un seul chapitre sur 35 a été clos dans le processus d’adhésion.

🔹 L’Ukraine et la Moldavie

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

L’accentuation de la guerre (rappelons que la Crimée et le Donbass ont été envahi dès 2014 par la Russie et la Transnistrie dès 1991) entre la Russie et l’Ukraine a fait basculer ces deux pays dans le camp de l’UE.
Ce processus de candidature très rapide a d’ailleurs créé des tensions fortes avec les Balkans (qui attendent depuis très longtemps déjà. 2009 pour la Serbie par exemple). En effet, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ont déposé leur candidature dès le 28 février 2022 pour l’Ukraine et le 3 mars pour les autres soient la semaine après l’attaque russe. L’Ukraine et la Géorgie voient leur statut de candidat accordé dès le mois de juin. En novembre 2023 la commission recommande au conseil d’ouvrir les négociations. En décembre, le sommet Européen vote (à l’exception de la Hongrie qui s’abstient) en faveur de l’ouverture des négociations d’adhésion. 
Cette rapidité du processus est une nouveauté. Elle répond à l’urgence de la situation. Pour autant à ses débuts la CEE ne s’embarrassait pas de ces processus complexes et les adhésions de la Grèce, du Portugal ou de l’Espagne répondaient elles aussi au besoin de démocratie et de stabilité en Europe. La Grèce s’est portée candidate en 1976, les négociations se sont achevées en 1979 et elle a été intégrée en 1981.  Pour le Portugal et l’Espagne les candidatures ont été déposées en 1977 pour une adhésion en 1986. 
L’UE s’adapte donc on contexte et peut être très rapide parfois. Le meilleur exemple étant l’intégration immédiate de la RDA après la réunification Allemande (1990). Les voisins attendront eux jusqu’en 2004 pour avoir droit de rentrer dans ce club fermé.
Tout l’enjeu se situe donc aujourd’hui dans la capacité de l’Ukraine et de la Moldavie à intégrer au plus vite l’acquis communautaire. La volonté politique est bien présente dans ces pays et l’opinion publique soutient cette politique. Cela peut donc aller relativement vite, deux chapitres sur 35 ne nécessitent déjà aucune réforme. Mais il faudra aussi un accord unanime des pays de l’UE et leurs opinions. Le danger de blocage Hongrois existe. Le danger du populisme des opinions aussi. A ce titre les élections européennes de 2024 seront vitales pour le destin de l’UE.

🔹 Le Caucase : Géorgie et Arménie oui, Azerbaïdjan et Russie non.

A noter que le Haut Karabagh a été récupéré par l'Azerbaïdjan depuis

A noter que le Haut Karabagh a été récupéré par l'Azerbaïdjan depuis

Le Caucase est formé de 4 états : Russie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan. Beaucoup d’européens ne savent pas que le Caucase est une frontière de leur continent. La ligne de partage des eaux du Caucase laisse quelques vallées Géorgienne et Arménienne en Europe. A ce titre ces pays peuvent intégrer l’UE au niveau géographique.  Mais de toute manière – à l’instar de Chypre – ces deux pays sont indéniablement de Culture Européenne. L’Azerbaïdjan en est exclu, la Russie aussi par son propre choix.
La Géorgie à elle été recalée de la dernière vague de lancement des négociations. Elle est bien candidate reconnue mais le processus d’adhésion n’a pas encore commencé. Le conflit entre présidente (pro-Européenne) et premier ministre (qui a changé de camp en cours de route) empêche une action politique forte d’adhésion. 
L’Arménie elle devra se retirer de l’Union Eurasienne et l’Organisation du traité de sécurité collective pour candidater. L’opinion publique et le gouvernement ont acté la rupture avec le grand frère russe incapable de les protéger au Haut Karabagh (Artsakh). Sa future adhésion est liée à celle de son voisin car ce pays est enclavé. Il est entouré de régimes qui lui sont défavorable (Turquie et Azerbaïdjan) et son seul allié est honnit de la scène internationale (Iran).

🔹 Les exclus

Jour 689 : L’UE et l’Ukraine, quel processus d’élargissement possible et souhaitable ?

La Russie, Biélorussie et le Kazakhstan sont exclus de toute politique d’élargissement, non pas pour des raisons géographiques (le Kazakhstan a une partie de son territoire en Europe) mais parce qu’ils font partie d’autres structures collectives incompatibles avec l’UE : L’Union Eurasienne (créée en 2015) et l’Organisation du traité de sécurité collective (créée en 2002)

🔹 L’approfondissement indispensable avant un nouvel élargissement ?

Attention il y a aujourd'hui 27 membres et non 28

Attention il y a aujourd'hui 27 membres et non 28

La question fondamentale est de savoir s’il faut approfondir avec d’élargir l’Union ou pas. La réponse me paraît plus complexe finalement. 
Aujourd’hui il y a deux types de vote : Unanimité, majorité qualifiée et double majorité. 
Soyons clairs, l’unanimité est quasi impossible (à 27 comme à 44). Donc toutes les décisions qui nécessitent une unanimité sont bloquées. L’UE est donc incapable d’avoir une défense commune, une fiscalité propre par exemple. La réforme est indispensable donc avec ou sans élargissement. 
Le vote à la majorité qualifiée concerne environ 80% des votes. Il faut 55% des états membres (aujourd’hui 15 sur 27) et au moins 65% de la population totale de l’UE). Un blocage ne peut être effectué que par 4 pays a minima. La France et l’Allemagne ensemble ne peuvent donc pas bloquer une décision même si elles représentent un tiers de la population de l‘UE à elle seules.  C’est le principe de double majorité. L’élargissement ne pose aucun problème en cette circonstance. 
En conclusion, l’approfondissement de l’UE est indispensable mais n’est pas corrélé au processus d’adhésion en cours. 

J’ai été très long, je m’en excuse. Pas possible de faire plus court et merci pour ceux qui auront eu le courage de lire jusque-là.

Rédigé par M. Orain

Publié dans #Ukraine

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article