Jour 41 : Le mot « génocide » 

Publié le 5 Avril 2022

Jour 41 : Le mot « génocide » 

Le terme « génocide » (du grec genos, « race », et du latin cide, « tuer ») désigne l’extermination physique, intentionnelle, systématique et préméditée d’un groupe humain ou d’une partie d’un groupe en raison de ses origines. Ce mot est tabou pour un historien. Hurler au génocide à la moindre occasion c’est comme un blasphème pour moi. 

C’est comme une manière de dévaloriser les précédents. Trois sont reconnus officiellement par l’ONU : Juif, Arménien (1915-1916), Juif (1941-1945) et Tutsi (1994). Certains massacres de type génocidaire ont aujourd’hui du mal à entrer dans l’histoire pour des raisons diverses (Srebrenica, Héréros, Porajmos, Ouighours, Cambodge...). 

Autre écueil, l’histoire immédiate est très difficile pour un historien. On peut se laisser emporter facilement par la période que l’on vit. Pour éviter cette erreur, je vais m’appuyer sur le grand spécialiste de la question : Jonathan Leader Maynard, Maître de conférences en politique internationale au King's College de Londres travaillant sur l'idéologie, la violence, le génocide, les atrocités et l'extrémisme. 
Cette question arrive après la découverte des horreurs dans les territoires évacués par les russes (Boucha mais aussi Irpin, Hostomel, Borodyanka, Motyzhyn) et les propos de Zelensky sur ce thème après sa visite à Boucha.  

Disons-le tout net, si Zelensky est dans son rôle d’utiliser cette notion au point de vue politique mais il est historiquement beaucoup trop tôt pour conclure sur le sujet. Nous savons fondamentalement que la Russie commet des atrocités en Ukraine, mais les conditions d'un génocide sont assez spécifiques.  Le génocide implique plus que le meurtre de civils ou la perpétration d'atrocités comme le viol, la torture, la mutilation, etc. Ces actes ne sont pas forcément génocidaires même s’ils sont des massacres horribles. 

Qu'ils soient ou non génocidaires dépend de leur intention stratégique : s'agissait-il d'un effort pour éliminer des groupes sur la base de leur appartenance ethnique, de leur nationalité, etc. ? Il est extrêmement difficile d'obtenir de bonnes données sur la forme - sans parler de l'intention derrière – dans de telles campagnes pendant un conflit. Pour l’instant nous avons déjà la quasi assurance d’avoir à faire à des crimes de guerre, mais les rapports sont fragmentaires à l'heure actuelle : le nombre de victimes est donc probablement beaucoup plus élevé que les cas que nous pouvons actuellement confirmer. 

Cependant, génocide ou pas, l’essentiel est ailleurs. Pour rédiger ces articles j’essaie de tout voir (ou du moins beaucoup). Et certaines images ne me quitteront plus. Que l’intention soit génocidaire ou juste des crimes de guerre, elles mettent la Russie du ban des nations. « Faire la paix » avec Poutine ne sera pas possible. Et même si on le faisait on obtiendrait le même type de résultat qu’avec Milosevic.  Les accords de Dayton en 1995 n’ont pas empêché la guerre du Kosovo 4 ans plus tard. Tant que le problème nationaliste n’est pas résolu, il repousse comme un cancer. Mais hélas je crois que le constat est plus grave encore.
L'agence de presse RIA Novosti (équivalent de l'AFP chez nous mais sous contrôle gouvernemental. Elle représente donc la parole officielle de l'Etat Russe) a publié un article qui explique ce que signifie réellement la "dénazification" de l’Ukraine par Poutine : « Ce que la Russie doit faire de l’Ukraine ». Cet article propose comme objectif « L'élimination de l'État ukrainien pendant des générations pour rééduquer son peuple "empoisonné" après avoir liquidé ses élites, l'abolition du nom même de l'Ukraine et de sa culture ». Et là, on se rapproche de la volonté génocidaire. On n’a jamais voulu lire ni prendre au sérieux les discours de Poutine. Il serait temps de le faire. Enfin.

Cette attitude Russe n'est d’ailleurs pas surprenante à trois égards :

- Le Kremlin est désormais enveloppé d'une idéologie ultranationaliste radicale qui considère un État ukrainien à tendance occidentale comme une menace politique et idéologique existentielle pour la Russie (contrairement au mythe de longue date selon lequel Poutine est « non idéologique »). L’article de RIA Novosti d’hier était particulièrement éclairant sur cette intention.

- Le ciblage passé par l'armée russe de civils en Tchétchénie et en Syrie (et plus tôt, en Afghanistan)

- Le fait que l'effort de guerre de la Russie a dégénéré en une campagne stagnante dans laquelle les tactiques conventionnelles n'ont pas réussi à atteindre les objectifs de Poutine, tandis que la population ukrainienne organise une résistance efficace – un scénario classique d'atrocités généré par la frustration de l’échec.

Notez que l'affirmation courante selon laquelle les abus contre les civils sont « inévitables » en temps de guerre est totalement fausse. Il a été constaté que les États ciblent directement les civils dans environ 1/5 à 1/3 de toutes les guerres. Les atrocités sont épouvantables mais pas inévitables. De plus, pour ceux qui sont tentés par ce qui se passe, je soulignerais que si les guerres menées par les Américains et les Britanniques en Afghanistan et en Irak étaient sans doute épouvantablement stupides et destructrices mais elles n'impliquaient pas de meurtres ciblés de civils de ce type (contrairement à la guerre du Vietnam par exemple) 

Ainsi, nous devons être prudents quant au recours au langage du génocide, qui a une signification juridique bien précise, mais aussi mettre en évidence les preuves les plus claires d'atrocités contre des civils. Nous en saurons plus avec le temps.

Evolution du Front :

- Plus de front à l’Ouest ni dans les Oblast de Kyiv, Chernihiv et Soumy (peut être des poches résiduelles à Buryn et Ptyvl). Des bombardements néanmoins. La ligne de train Bilopillia - Soumy - Trostianets fonctionne à nouveau. La Russie a évacué près de 40% de ses conquêtes en Ukraine. Mais le plus dur est à attendre dans l’Est.
Cette 2eme phase commence avec des forces Russes en cours de regroupement, il va donc y avoir une pause opérationnelle. Cette option était devenue inévitable pour les Russes et aurait certainement dû être faite beaucoup plus tôt. Affaiblies et cherchant à s'accroître, elles peuvent enfin opérer une concentration des forces, avec une bien meilleure coordination. Elles font face à des forces Ukrainiennes dispersées elles-mêmes affaiblies mais bénéficiant d'un avantage en termes de nombre de combattants et de moral après la victoire dans la première phase.

- Kharkiv : Des éléments avancés russes ont atteint Brazhkivka et ont établi une position défensive dans le village. L'ennemi concentre une grande quantité de forces dans la région d'Izium, se prépare à la poussée vers Sloviansk.

- Louhansk : J’ai reçu plusieurs histoires d’empoisonnements de l’armée Russe par les Ukrainiens. Avec leurs problèmes de logistique, ils ont eu recours au pillage. Une aubaine utilisée pour les mettre hors d’état de nuire. Cruel mais efficace. L'armée russe concentre toutes ses forces dans la région pour capturer Rubizhne, Sievierodonetsk, Lysychansk et Popasna.

- Donetsk : 3376 personnes ont été évacuées aujourd'hui des régions de Donetsk, Louhansk et Zaporizhiye. Les troupes ukrainiennes ont réussi à repousser les attaques près de Marinka, Makiivka et Svitlodarsk. Les troupes russes sont entrées dans Novobakhmutivka et contrôlent au moins une partie du village. 

- Marioupol : De fausses élections ont été faites alors que la ville n’est toujours pas prise par la Russie. On sent la volonté rapide de la Russie de faire 4 Oblats Russes (Louhansk, Donestk, Kherson, Marioupol). Kostyantyn Ivashchenko, membre du conseil local du parti pro-russe Plate-forme d'opposition, a été déclaré "maire". La Croix-Rouge dit que son équipe se rendant à Marioupol a été arrêtée et est détenue. Les médias russes affirment que plus de 250 marines ukrainiens du 503e bataillon de marines se sont rendus à Marioupol. Difficile de savoir si c’est de l’information ou de la propagande pour l’instant.

- Kherson : L'armée russe a de nouveau ciblé Mykolaïv, causant des dommages aux infras-tructures civiles. Les troupes ukrainiennes auraient poussé vers Kherson depuis la région de Blahodatne et Oleksandrivka.
Camp Occidental : Orban réélu triomphalement en Hongrie, dans des élections contestées dans la méthode, a eu ses premiers mots pour se rapprocher de Poutine. La question de la place dans l’UE de la Hongrie est posée. Ce pays devra peut-être faire un choix. 
Nous devons être capable de nommer nos ennemis, nos adversaires et nos alliés. L’UE et les pays qui la compose n’en sont pas encore là.

Jour 41 : Le mot « génocide » 
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Rédigé par M. Orain

Publié dans #Ukraine

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