La grande guerre en planche et en case
Publié le 11 Novembre 2009
Période charnière de l’histoire, où les idéologies, la modernité des armements, les nationalismes exacerbés se fracassent et ont provoqué un carnage qui préfigurait sans nul doute l’autre guerre mondiale qui y plonge, ce n’est pas un mystère, ses racines, la Grande Guerre est toujours présente dans les esprits, notamment en ce 11 novembre. De mémoire vivante, la Der des Der devient littéralement Histoire avec la disparition des derniers témoins. Les derniers témoins combattants ne sont plus, ne vivent encore que des enfants d’alors aujourd’hui vieillards, des centenaires ayant traversé le XXème siècle et ayant vécu d’autres périodes qui sans doute amenuisent l’impact du conflit de 14-18. Rendez-vous compte, pour mes propres enfants en bas âge, Verdun c’est à l’aube du siècle dernier !
Sur la Grande Guerre, le cinéma a accouché récemment d’oeuvres fortes comme la Chambre des Officiers, la Vie et rien d’autre, et dans une moindre mesure le romantique Un long dimanche de fiançailles, qui tous traitent de l’immédiat après-guerre. Plus loin dans le temps, Les Sentiers de la gloire, à l’ouest rien de nouveau ou encore La Grande illusion ont tous marqué les esprits par leur portée humaniste et le pessimisme qui les parcourt. Joyeux Noël également, succès critique et populaire il y a cinq ans, plongeait le spectateur dans l’absurdité des combats seulement entrecoupée d’une ephémère confraternité le temps de Noël.
La Grande Guerre inspire depuis longtemps la Bande-Dessinée, et je crois bien que c’est cette dernière, au travers surtout du dessin de Jacques Tardi, qui sait le mieux en rendre la poisseuse calamité, en décrire le lent et douloureux enlisement dans ses symptomatiques tranchées, en représenter l’énorme broyeuse d’hommes d’un temps où les chevaux se mesuraient aux premiers chars. La représentation de la Guerre par Tardi est, je pense, celle qui cristallise et marque le plus fortement l’imaginaire collectif. Cela n’empêche pas d’autres auteurs, moins connus mais pas moins talentueux, de s’y mesurer en prenant la Der des Der comme terreau ou comme toile de fond de leurs histoires.
Ainsi, Futuropolis a publié un remarquable premier album d’une série bientôt classique sur la Grande Guerre, Notre mère la Guerre, par Maël et Kris. L’intrigue est simple : suite à plusieurs assassinats de femmes à proximité du front, alors que la Guerre de position a commencé, l’Etat-Major, qui a déjà fusillé par erreur un innocent présumé coupable, délègue un lieutenant gendarme pour démasquer celui ou celle qui n’est pas encore appellé un tueur en série. C’est bien sûr l’occasion de mettre en lumière les tensions, les erreurs, la bêtise ou le courage des soldats et de leur hiérarchie. Des adolescents sortis des prisons pour servir de chair à canon, des fusillés pour l’exemple, des généraux imbéciles… Maël et Kris, appuyés sans doute par une grosse base documentaire, réussissent une remarquable plongée dans le quotidien des soldats français. Les dialogues vont chercher du coté des Lettres de Poilus, ils sonnent vrai, ce qui renforce l’immersion et la vérité des situations.
Autre genre, plus audacieux, la série Les Sentinelles chez Dargaud, où Xavier Dorison, scénariste prolifique, imagine un Iron Man à la sauce Grande Guerre, réinvente l’origine des Super Héros, les resitue comme le produit des tensions et affrontements guerriers, bénéficiant des inventions scientifiques boostées par les efforts de guerre. Le trait pointilliste de l’argentin Enrique Breccia (fils d’Alberto Breccia, grand maître du noir et blanc), qui renvoie également au style de Palacios, confère un style old school aux deux premiers volets disponibles. Le décalage historique, l’exploitation de l’uchronie (littéralement l’expression du “et si” narratif, comme “et si les Allemands avaient remporté la Seconde Guerre Mondiale…”, procédé très populaire chez les anglo-saxons).
Revisiter son histoire au moyen de la fiction, et ici de la BD, une manière comme une autre de comprendre, transmettre, mettre en perspective et, accessoirement, de dessiner une histoire commune.
Je ne vous présente là que quelques titres, d’autres sont aussi forts et importants, n’hésitez pas à mentionner en commentaires ceux qui vous ont marqués également…
Sébastien NAECO